mardi 24 juillet 2012

                   

-  Lettre du bout du monde   -


Code Rouge


        Le capitaine et l'équipage ont désormais décidé de mettre en place un code durant nos sorties sur terre. Lorsque nous voulons regagner le bateau le responsable armé annonce sur la radio :  Code Vert : c’est que nous ne courons aucun danger, code Orange : danger observé ! Code Rouge : danger immédiat. Et  bien… vous ne nous croirez sans doute pas, mais hier nous avons annoncé sur la radio : Code Rouge !


        Baie de La Madeleine, 22 heures 30, le soleil brille. Incroyable été boréale. Nous débarquons sur une plage de sable fin. Des rires, des blagues jusqu’au moment où un couple de sternes arctiques décide de nous barrer le chemin. Ces élégants oiseaux qui se déplacent chaque année entre le pôle sud et le pôle Nord n’apprécient guère notre venue. Piqué. Looping. Et coup de bec sur la tête. Tout cela provoque la dislocation partielle de notre groupe. Jusqu’à ce que nous sortions de leur territoire de nidification. La colonne regroupée reprend sa marche en direction d’un glacier qui vient mourir dans la mer. On discute, on papote, sans trop observer le biotope.






Le premier fut invisible. Nous étions assis à contempler la mer et les montagnes, à admirer les glaciers, lorsque nous avons entendu son grognement sourd et bestial résonner dans la vallée. En ce qui concerne le deuxième, nous pouvons nous demander si ces prédateurs, en plus de savoir faire un guet-apens, ne savent pas aussi se parler.


Hé mon ami ! Vient donc du côté de la plage, derrière le cimetière de trappeur !
A l'endroit où nous avons dévoré des campeurs autrichiens il y a tout juste 40 ans. Humour de marin… Ou prémonition.


Sans l'œil de lynx de Jean Cassien, le mécano du bord, nous n'aurions jamais vu la bête. A 300 m sur la plage, il sent nos traces et vient vers nous. 500 ou 600 kg, allez savoir. Une démarche faussement pataude pour un animal capable de charger à près de 50km/h.  Le capitaine donne ses ordres, demande par radio au Second, Julien, de changer le lieu de rendez-vous pour regagner le bateau au plus vite. Code Rouge annoncé ! Julien à bord du bateau pneumatique qui nous sert à débarquer essaie d’effrayer l’ours. Curiosité ou bête affamée ? Nous
n’attendrons pas la réponse. Le capitaine donne l’ordre d’évacuer la zone. Les ordres fusent en silence mais le message est clair : "Le premier qui crie parce qu'il panique, je l'assomme! Crier, c'est nous mettre tous en danger!". Personne ne dit mot.






Pendant que l'adrénaline et la peur se font ressentir chez certains d’entre nous, Julien arrive pour nous récupérer.  L’ours n’est plus qu’à 50 mètres de nous. Jean Cassien et le Capitaine se sont mis en position de tir.  Mais il nous faut embarquer et cette fois il faudra descendre dans l’eau glacée car le canot ne peux approcher de la berge. Que faire ? On s'excite, on s'énerve, c'est vrai ma foi il arrive. "François, pose-moi cette caméra et monte dans le bateau !"-"Jamais je ne lâcherai ma caméra !"-"Bon dieu François !"


Pas question de laisser quelqu’un sur la berge. Les ordres sont stricts, tout le monde doit embarquer dans le zodiac. Nous nous y retrouvons à … quatorze. Nous enfilons nos gilets de sauvetage et observons la scène.


David le capitaine et JJ le mécano observent l’ours. L’animal en fait de même.
On s’observe, on se jauge.  Les balles sont engagées. La sécurité du mauser modèle 1939 est enlevée. Le silence devient pesant. Vingt longues secondes, pas une de plus. L’ours s’est encore avancé vers nous. Une détonation, puis deux, puis trois. Les douilles des balles tombent sur le sol.  Les armes sont rechargées. A peine effrayée par les détonations, la bête décide de continuer son chemin, sans même nous regarder.
Au fait, a-t-il eu aussi peur que nous ?
Peu importe. De toute façon, nous ne comptons pas aller lui demander…


Dans le zodiac, tassés les uns sur les autres, les rires et les commentaires vont bon train. Improbable rencontre en milieu hostile, animal emblématique de la vie polaire. Souvenir marqué à vie dans nos mémoires.


Beaucoup de peur, de curiosité et de fascination pour ce géant des glaces. Et une fois rentrés à bord de La Malouine, nous avons revu la scène sur la caméra.
Pour l’occasion, nous avons fait des crêpes sur la dunette de La Malouine. Toute la soirée, je vous laisse imaginer, notre sujet de conversation…
François, lui, a répété une bonne dizaine de fois : "Je tiens la perle du film !
Regardez-moi ces images !".


Amicalement du bout du monde.
A bord de La Malouine.

Anaïs et Nagui.


Vendredi 20 juillet 2012